RUMEUR DU MONDE 1994
RÉCIT D’UN RÊVE (novembre 1992). Cette nuit j’ai rêvé d’avoir tué quelqu’un. C’était mon frère, je crois. Mais je ne l’avais pas tué avec l’intention, la préméditation. Je l’avais tué parce que j’avais pointé et tiré sur lui. Comment j’en était arrivé là, cela reste obscur. J’avais tiré. Dès le coup parti, effrayé, je me disais que je n’avais pas pu faire ça, c’est trop horrible, c’est trop simple. Et comme pour prouver que je ne l’avais pas tué, comme pour le réveiller, ou comme pour effacer tout cela, je tirais à nouveau — ma main tire un deuxième coup. Puis un troisième, jusqu’à ce qu’il ne reste plus rien.
Trois photos de Sarajevo :
l'exécution d'un sniper par un milicien
trois instants
une éternité invraisemblable entre l'un et l'autre
UN AUTRE RÊVE DE MEURTRE Le bourreau muni de sabre et la victime qui ne voulait pas mourir. J’étais le bourreau et je regardais le bourreau et j’avais sa peur, sa terreur, face à la victime à qui il tranchait la tête et qui refusait de mourir, empoignait le bourreau, même décapité…
COMME UN CAUCHEMAR on sait que la catastrophe va avoir lieu, on peut la prévoir, mais c’est tellement prévisible qu’elle nous parait incroyable et on ne croit plus qu’elle puisse avoir lieu. Elle n’existe plus. Elle n’aura pas lieu, et le plus qu’on l’annonce, le plus qu’on la prophétise, souvent avec complaisance, le moins qu’elle aura lieu…
Sukhumi, Géorgie, septembre 93. Images sans commentaire. Miliciens qui avancent égarés, mitraillette au poing. Eucalyptus secoués par les tirs des chars. Des femmes pleurent un mort qui repose dans son cercueil. Des femmes en noir marchent dans une rue, en silence. D’autres femmes s’adressent à la caméra, mais on ne comprend pas ce qu’elles disent. Des hommes en vague tenue militaire affalés au sol, épuisés. Un homme qui a perdu une jambe, à la longue barbe blanche, les harangue mais ils n’écoutent pas. Une route de montagne, quelques familles leurs baluchons sur le dos, s’en vont. Où?
TEMPS DE GUERRE – © Giovanni Cioni – % , » – 2